Recherche sur les causes profondes des conflits

Cette recherche conduite par ACORD et CCFD - Terre Solidaire a été réalisée de Septembre 2011 à Avril 2012 dans 4 pays : le Tchad, la Centrafrique, le Soudan et le Sud Soudan.

Les attentes

Dans le cadre de cette recherche, ACORD et le CCFD-Terre Solidaire étaient particulièrement intéressés par les liens et interrelations qui existaient et qui sont génératrices d'enjeux/de conflits entre le Tchad, la République Centrafricaine et le Soudan et le Soudan du Sud.
Cette recherche devait montrer les articulations entre ces pays : passages transhumants, partage des ressources (Lac Tchad, pétrole, gaz naturel, etc.), commerces transfrontaliers de tout type (nourriture, matières premières, armes, etc.), mobilités transfrontalières et mouvements de populations (pasteurs comme réfugiés ou populations déplacées).
Elle devait également montrer les articulations au niveau plus macro entre ces quatre pays : les jeux politiques et les conflits d'intérêts ainsi que les influences de l'évolution de la situation politique de l'un sur la situation des autres.

Les objectifs

1 - Problématiser l'histoire politique de la RCA, du Soudan, du Soudan du Sud et du Tchad, avec un accent spécifique sur la géopolitique régionale et notamment sur les interrelations entre ces quatre pays. L'idée est de mettre en avant les moments clés qui constituent le terreau et les causes des cristallisations actuelles (conflits, systèmes politiques bloqués, éléments de perpétuation et de dégénération des conflits, etc.) et de ne pas de faire une monographie historique pour chaque pays.
2 - Identifier, dans chaque pays et dans la région, les causes des conflits et en dégager les problématiques sociales/sociétales et économiques les plus saillantes ainsi que les dynamiques communautaires qui apparaissent comme remarquables, notamment dans une optique de résolution des conflits. Déterminer les points de convergence entre les quatre pays.
3 - Identifier et analyser le rôle de l'ensemble des parties prenantes (Etat, individus/leaders spécifiques, entreprises, Gouvernements dans la région et/ou au niveau international, etc.) qui nourrissent ou interfèrent dans les situations et cristallisations actuelles.
4 - Mettre l'accent sur l'identification et le rôle des acteurs de la société civile (locaux, provinciaux, nationaux pour les quatre pays et au niveau sous-régional) les plus actifs dans le règlement de ces problématiques. Analyser leurs motivations, leurs objectifs d'action, leurs positionnements ainsi que les éventuelles interactions entre eux et avec les autorités politiques/religieuses/communautaires/ traditionnelles.  
5 - Insister sur l'analyse des mécanismes traditionnels de résolution des conflits déjà en place et qui permettent souvent de sauver des vies et d'assurer la survie des populations.
6 - Dans la perspective de nourrir la réflexion de l'atelier conjoint CCFD/ACORD/équipe de consultance : proposer une série de recommandations sur les éléments qui contribueraient à vaincre les causes et symptômes des conflits et puissent contribuer au renforcement de la paix à différentes échelles. Ceci en vue de construire des passerelles entre les acteurs de la société civile (éventuellement en lien avec les acteurs identifiés au point 3) dans une optique de mutualisation des expériences et d'actions conjointes ayant un effet de levier sur les questions de politique intérieure et régionale.

Résultats de la recherche

CONTEXTE REGIONAL
Au Soudan, les années 2010-11 ont été marqué par le processus référendaire et la proclamation de l'indépendance du Soudan du Sud le 14 Juillet 2011 alors même que les problèmes qui ont miné historiquement les deux pays demeuraient. De nouvelles formes de conflits affectent les deux pays de manière distincte. La politique au Soudan a été dominée par les principaux partis politiques arabes et musulmans et a été marquée par la marginalisation des autres groupes. Les problématiques ethniques, de classes et de religions sont très complexes, et ont affecté non seulement le sud, mais d'autres groupes marginalisés au Darfour et dans l'est du Soudan. Ce processus de marginalisation systématique a touché tous les aspects de la société soudanaise et ses politiques en matière de gouvernance. La situation est caractérisée par une multitude d'atteintes aux droits de l'homme : violentes répressions, guerres par procuration, campagnes militaires, exécutions extra- judiciaires et ciblées, la famine induite par la guerre.... Cela a culminé avec l'inculpation par la CPI de l'actuel président el Béchir pour crimes de guerre en mars 2009. Le Soudan est dans une situation difficile car il a perdu sa partie sud et donc d'importants revenus pétroliers. L'image du NCP, parti au pouvoir, en est ressortie diminuée, causant ainsi de multiples révoltes au Darfour, au Soudan oriental, au Kordofan méridional et dans la zone des monts Nouba. Sur le plan politique, d'anciens membres du SPLM et d'autres groupes clés de l'opposition à Khartoum ont contesté le NCP, et se sont mobilisés avec d'autres groupes marginalisés pour chercher à le renverser. Le gouvernement central a refusé de faire marche arrière et a durci sa position en menant de nombreuses opérations militaire dans le sud Kordofan et dans les monts Nuba.

Le Soudan du Sud est une nation très jeune, ce qui l'oblige à relever autant de défis qu'il y a d'opportunités post conflits. De nombreux enjeux très complexes vont nécessiter du temps pour être résolus. Les principaux enjeux post-référendum sont le pétrole dont 80-90% est produit au Soudan du Sud, mais le pays est enclavé et les pipelines passant par le nord, les frais de transit doivent donc être négociés ; les frontières, avec cinq zones qui doivent faire l'objet de négociations, par exemple Abyei, Kafia Kingi, etc et toutes sont riches en ressources naturelles ; les nationalités, notamment pour les soudanais du sud qui vivent au nord ; les dettes et les actifs, comme dans n'importe quel divorce, ceux-ci doivent être discutés ; la monnaie, le cours du dinar par rapport à la livre ; les accords internationaux, dont la plupart ont été signés par le nord, ce qui pose la question de leur validité au sud et la sécurité, principalement en ce qui concerne les unités intégrées conjointes et les sudistes dans les forces armées soudanaises. Le Sud-Soudan présente les défis habituels d'une jeune nation. Il doit mettre en place un système gouvernemental, dans toutes ses dimensions, l'exécutif, le judiciaire, le législatif, la fonction publique, l'armée... Le pays devra développer les infrastructures, développer les services aux populations, assurer la primauté du droit et la bonne gouvernance ; le pays devra fondamentalement tout recommencer de zéro, à travers un processus qui sera marqué par des tensions, des abus et des réussites.

Tchad et RCA : Les deux pays ont plusieurs points communs : une histoire politique très violente, des dictatures sanguinaires, un processus de démocratisation engagé en 1990 mais qui ne fonctionne pas. De nombreux problèmes sont communs : le problème de la coexistence des identités notamment la religion qui est utilisée pour diviser les musulmans et les chrétiens, les problèmes ethniques, la pauvreté, la faiblesse de l'économie et des capacités des services publics, et surtout la lutte violente permanente pour le pouvoir. Ce sont deux pouvoirs centraux basé sur le clanisme avec un faible soutien social. Les problèmes de gouvernance sont liés à la faiblesse de l'Etat à répondre aux besoins des populations, à la mauvaise gestion économique, à l'augmentation de la corruption et de la mauvaise gestion des ressources naturelles, et en particulier une absence de transparence dans l'exploitation du pétrole, du diamant, de la forêt... Dans les deux pays, la production agricole, principale source de revenus pour les populations, est déstabilisée par les conflits et renforce les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs. Le Tchad dispose d'une forte capacité militaire, des ressources financières importantes grâce à l'exploitation pétrolière et un fort soutien extérieur, en particulier la France qui lui apporte son soutien militaire, et influence en sa faveur des décisions internationales. Les conflits sont générés par des problématiques politique, ethnique et religieuse. La gestion des ressources naturelles (terre, eau, forêts) concerne des problèmes locaux tandis que la gestion des ressources minières est un problème national. Les conflits prennent une dimension nationale lorsque les principaux acteurs politiques utilisent les communautés pour satisfaire leur ambition électorale.

PROBLEMATIQUES REGIONALES
Il existe dans cette région de nombreux problèmes communs et une vraie dynamique conflictuelle régionale. On observe en particulier que :
• L'État et la politique sont contrôlés dans les quatre pays par un parti, le NCP au Soudan, le SPLM au Soudan du Sud, le MPS au Tchad et le KNK en RCA.
• Les problèmes d'identité sont communs : la place de l'islam, la culture et la langue arabe, la fracture agriculteurs/éleveurs... mais aussi natifs et non-autochtones qui se retrouvent le long des frontières dans le sud du Soudan, entre Sud-Soudan et de la RCA, la RDC, l'Ouganda, et aussi la question des rapatriés du nord au Soudan du Sud.
• Les groupes armés sont présents dans toutes les régions : dans le sud du Soudan, dans le nord du Soudan, au Darfour, dans les montagnes Nubba, en RCA et au Tchad...

Les interactions entre ces pays sont très nombreuses. Des groupes politico-armés au niveau des frontières, l'ingérence des pays voisins (Soudan, Libye, RDC) et entre eux, des interventions fréquentes de l'armée tchadienne en RCA, des groupes ethniques transfrontaliers... De nombreux groupes armés traversent cette région. La LRA a créé une zone de non droit dans le Sud-Est de la RCA et étendent leurs activités dans le Soudan du Sud et au Soudan. Plusieurs groupes rebelles tchadiens et du Darfour sont basés en République centrafricaine, d'autres sont basés au Darfour et déstabilisent l'est du Tchad, de la Libye et Tchad.
Les liens entre ces quatre pays sont inévitables. Les flux de populations entre le Tchad et la RCA, le Tchad et le Soudan, le Soudan et le Soudan du Sud ont intensifié l'instabilité à l'intérieur de chaque pays et le long des frontières. Il existe des liens ethniques et des échanges commerciaux entre les populations du nord-est de la RCA et du Soudan, et le nombre de réfugiés soudanais en RCA s'élève à 14.000, beaucoup d'entre eux étant venus pendant la guerre civile au sud du Soudan. Beaucoup plus de réfugiés du Darfour sont dans des camps dans l'Est du Tchad. Les crises du Darfour, du Tchad et de la RCA sont intimement liées, tandis que la situation au Soudan du Sud continue de préoccuper le Soudan et son avenir politique. L'instabilité du Darfour crée en quelque sorte un environnement propice au conflit en RCA.
Entre le Soudan et le Soudan du Sud. Plusieurs facteurs nourrissent les conflits entre les deux pays : la domination du NCP et sa politique de marginalisation, et sa volonté de déstabiliser le sud, les problèmes économiques comme mentionné précédemment découlant de la perte des revenus du pétrole, le problème des frontières Nord / Sud, la démarcation de ces cinq frontières, les campagnes militaires contre le peuple des montagnes Nubba et du Kordofan méridional (qui bordent le sud et qui sont idéologiquement aligné vers le Soudan du Sud), les questions de circulation des populations entre le nord et le sud, les milices armées dont d'anciens membres n'ont pas été intégrés dans l'armée, et d'autres groupes qui n'ont pas été désarmés (neuf groupes luttent contre le gouvernement), le vol de bétail est répandu et transfrontalier.
Le commerce entre le Soudan et le Soudan du Sud a été réduit après le référendum, principalement pour contrecarrer le gain de l'autodétermination. Le sud reste tributaire du nord pour exporter le pétrole.
Mais aussi entre le Soudan du Sud et d'autres pays. On peut en effet noter des problèmes de frontière entre le Sud Soudan d'autres pays, avec l'Ouganda (Nimule), avec l'Ethiopie et au Kenya, dans le triangle d'Ilemi. La coexistence entre les communautés de différents groupes ethniques et entre les rapatriés et les populations autochtones posent problèmes.
Le commerce du sud avec le Kenya et l'Ouganda est en plein essor ; le Soudan du Sud est considéré comme un nouveau marché. Beaucoup de kenyans, d'ougandais, d'éthiopiens et d'érythréens sont dans le sud du Soudan pour faire des affaires, ce qui n'a pas manqué d'augmenter un sentiment de xénophobie parmi les populations les plus fragiles. En RCA et RDC, de nombreuses régions commercent davantage entre elles qu'avec leur capitale éloignées. Au niveau international, tous les pays (États-Unis, Russie, Chine, Égypte, Israël, etc.) courtisent le Soudan du Sud pour ses opportunités économiques.

Entre le Tchad et le Soudan : Le Tchad a servi de base-arrière pour certains mouvements rebelles du Darfour pendant plusieurs années avec des forces armées et leurs partisans vivant le long de la frontière avec le Soudan. En échange de l'hébergement, de l'équipement, du matériel, de l'argent et des uniformes, des groupes rebelles du Darfour ont agi comme partisans du Tchad, renforçant la capacité militaire de l'armée nationale du Tchad pour lutter contre les groupes rebelles tchadiens soutenus par le Soudan. Ils ont aidé le Tchad à repousser les rebelles tchadiens durant les diverses attaques de 2006 à 2009.
En conséquence, l'est du Tchad a le plus souffert au cours de cette période d'instabilité car il était soumis aux effets de la crise interne ainsi qu'à ceux de la crise du Darfour. L'interconnexion entre ces deux crises a conduit à une guerre larvée entre le Tchad et le Soudan, avec plusieurs répercussions régionales et internationales. Afin de prévenir une déstabilisation régionale susceptible d'être engendrée par cette situation, la communauté internationale est intervenue à deux niveaux : en amont pour aider les médiations entre les parties concernées tchadiennes d'une part, et entre le Tchad et le Soudan d'autre part. La communauté internationale est également intervenue en aval à travers les opérations de maintien de la paix au Darfour, dans l'est du Tchad ainsi que dans la partie nord de la République centrafricaine.

En RCA, outre les activités des rebelles et les sévices de leurs propres services de sécurité, les populations souffrent d'agressions d'autres acteurs armés de la région ; chaque année, des groupes importants de braconniers lourdement armés en provenance du Soudan entrent en RCA pour piller ses ressources fauniques. A partir de la RDC, l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) mène régulièrement des raids violents dans le sud-est de la RCA. A partir du Tchad et du Soudan, des bandes armées d'éleveurs traversent les frontières nationales pour faire paître leurs troupeaux. Elles se sont affrontées à plusieurs reprises avec la population locale et, dans leur sillage, le banditisme armé se développe.

LES CAUSES PROFONDES DES CONFLITS 
The main drivers of conflict have been identified as relating to questions of identity and poor governance. While elsewhere in Africa ethnic politics is the main crisis of identity, in these four states, there is an intermingling of ethnic, religious, class and national identities. This further complicates the possible policy interventions for the region. Une part importante des conflits est aussi liée à la compétition sur les ressources naturelles.

La question identitaire est au cœur des conflits dans cette sous-région

Dans cette période conflictuelle, les populations se reconnaissent d'abord sur la base de leur identité communautaire et ethnique, mais aussi sur la base de leur «légitimité» sur leur territoire (autochtone, allochtone mais aussi agriculteurs/éleveurs). Les tensions inter-religieuses sont également très fortes dans les quatre pays. Ce phénomène est à la fois naturel dans le contexte régional mais aussi un phénomène produit par des stratégies politiques (colonisation française au Tchad, influence libyenne au Soudan, jeu politicien, secte évangéliques...) ; On observe aussi des logiques de domination ethnique dans les 4 pays : Zaghawas et BET au Tchad, arabes du Nil au Soudan, Dinka au Sud Soudan et les Yakomas en RCA. Aujourd'hui, face à cette culture du rejet de l'autre, on observe progressivement l'élargissement de cette notion d'identité à la notion de citoyenneté, d'identité nationale, de laïcité, et de participation plus forte des femmes dans la vie des communautés... Ce sont les jeunes et les femmes qui portent cette évolution.

On peut donc recenser cinq problèmes identitaires dans la région : la question des groupes ethniques, c'est-à-dire lorsque les gens s'identifient et se définissent par cet aspect, alors la compétition, le rejet de l'autre et la domination par un autre sont exacerbés et peuvent provoquer des conflits aux niveaux local, national et régional ; la religion, particulièrement lorsque les affaires de l'État sont intimement mêlées à la religion et n'en sont pas séparées. La religion est donc utilisée comme un outil de discrimination et d'intimidation ; la question des autochtones, qui favorise généralement l'exploitation et la discrimination des démunis et des marginalisés ; l'instrumentalisation de la citoyenneté, lorsque l'État abuse de son pouvoir pour supprimer les droits et les devoirs de groupes spécifiques ; et les pratiques culturelles (comme la dia, le port d'armes...) qui peuvent propager la violence, les pratiques injustes et l'isolement des autres, par exemple les vols de bétail.

Religion: La question de la religion prend des formes différentes selon les Etats, mais la manifestation la plus fréquente est celle de l'islam par rapport au christianisme ou l'islam par rapport à la religion traditionnelle.

La question de la religion devrait être appréhendée au niveau national avec une constitution et des structures administratives qui reconnaissent et tiennent compte des différentes religions pratiquées dans la région. Mais, au Soudan par exemple, la pratique de la charia discrimine les gens de la région des monts Nouba. En RCA, les structures administratives et de gouvernance devraient avoir en place des lois qui reconnaissent la diversité religieuse de la nation, indépendamment des divisions religieuses historiques. L'instrumentalisation du terrorisme pour discriminer les musulmans durcit davantage les divisions religieuses, créant ainsi un vide sécuritaire qui engendre davantage d'insécurité dans la région.

Domination ethnique: La question de l'ethnicité et de la religion était au centre de la seconde guerre civile soudanaise qui a pris fin avec la sécession du Soudan du Sud.

Actuellement, la question de la domination ethnique comme facteur de conflit s'observe particulièrement dans le conflit du Darfour. Bien qu'il y ait une similarité religieuse au nom de l'Islam, les différences ethniques sont exploitées pour façonner la politique nationale. Alors que les habitants du Darfour sont musulmans d'Afrique noire, ils sont reconnus comme étant inférieures aux musulmans Arabes du Nord. Les divisions ethniques ont alors un effet d'entraînement à travers les frontières dans le Sud-Soudan et le Tchad, avec comme conséquence l'insécurité. Ainsi, le Darfour est devenu le théâtre d'une guerre par procuration transversale dans la région avec des rebelles soutenus par le Soudan du Sud contre Khartoum couplés à des rebelles contre le gouvernement tchadien qui soutiennent leurs principales causes, tout en apportant un soutien à des alliances secondaires.

La mal-gouvernance politique reste un point central de la conflictualité dans ces quatre pays

La sous-région est marquée par des régimes politiques qui ne semblent pas au service des populations dans leur ensemble mais davantage dans une logique de captation des ressources et éventuellement une redistribution vers leurs communautés. Ceci se traduit par une utilisation des fonds publics vers l'achat massif d'armes, un niveau de corruption très élevé des élites au pouvoir, une absence de système politique réellement représentatif... Les systèmes de régulation traditionnels sont en désuétude, les systèmes juridiques sont affaiblis, les sociétés civiles sont considérées comme une nouvelle forme d'opposition politique... Les populations ne se sentent pas bien représentées, n'ont pas confiance dans le système politique (partis politiques, élections...) et n'ont pas de prises sur les conflits interne et transfrontaliers. Les problèmes d'État sont monnaie courante au Soudan, au Soudan du Sud, au Tchad et en RCA. Les conflits internes sont principalement dus à la mauvaise gouvernance politique et économique, qui a eu comme principal impact les tensions communautaires ou les soulèvements populaires parfois très sanglants. Les répressions violentes de ces soulèvements au Soudan par exemple par les autorités centrales ont conduit à la rébellion armée, et si rien n'est fait, elles se produiront également au Soudan du Sud. Dans les quatre pays, ces tensions et divisions sont encore cristallisées par la fibre confessionnelle, régionale, tribale, linguistique ou clanique. L'absence d'espace démocratique se traduit par un système monolithique, tribal, monopartite, en plus d'une société civile faible contrôlée par l'État, qui étouffe les perspectives de mobilisation civile ou d'une organisation politique pour y faire face. La multiplication des groupes armés dans un pays donne lieu à sa militarisation, le plus souvent au détriment de la population civile. « Les civils » et les «militaires » sont parfois confondus, beaucoup de gens prétendant avoir l'un ou l'autre statut en fonction de la situation. Les pouvoirs publics utilisent l'armée pour leur propre protection, mais aussi comme un attribut de leur fonction et un instrument de coercition.

Sur la conflictualité liée à la compétition sur les ressources, l'étude a fait ressortir les problèmes de rapport entre agriculteurs et éleveurs, la difficulté de développer une économie locale dans un contexte agro-écologique difficile, la compétition locale violente entre communautés de base pour l'accès à l'eau et à la terre, les tensions liées à l'exploitation des ressources minières...

Cette conflictualité peut s'étendre également à un niveau de territoire bien plus large comme le conflit au Darfour avec les Janjaweed revendiquant l'accès à la terre et pose la question plus large de la durabilité du modèle pastorale dans une région qui se désertifie et dont la démographie augmente régulièrement. On peut recenser quatre problèmes liés aux ressources qui déclenchent les conflits dans cette région: les problèmes économiques à l'origine du déplacement des populations rurales vers les centres urbains, par ex en RCA ; la compétition pour les ressources qui se raréfient comme l'eau, la terre, les pâturages, l'élevage, par exemple au Soudan du Sud ; la répercussion des conflits (liés aux ressources) qui proviennent des pays voisins et des régions frontalières (par exemple la crise du Darfour) et la présence de ressources naturelles nationales très rentables comme le pétrole, les diamants (par exemple le pétrole au Tchad, au Soudan et au Soudan du Sud).

SOCIETES CIVILES
Au Soudan, la situation est très complexe et il n'existe pas une véritable société civile. Dans ce pays, les acteurs doivent donner des gages au gouvernement pour travailler avec eux. Les principaux acteurs de la société civile, ceux qui peuvent faire de la prévention des conflits, travailler sur la gouvernance et sur la consolidation de la paix sont réprimés, sont traités avec suspicion et sont constamment surveillés. Cela les a obligé à se déplacer à Kampala en Ouganda où ils peuvent fonctionner plus efficacement. De leurs côtés, les humanitaires sont aussi constamment surveillés et doivent demander l'approbation du gouvernement lors du recrutement de leurs cadres.

Au Soudan du Sud, le champ d'activités est très large mais les organisations de la société civile manquent aujourd'hui de capacités, les cadres de celles-ci ayant été cooptés dans le gouvernement et l'administration après l'indépendance. Les voix actives pour la paix et la mobilisation, comme celles des femmes du Soudan (SWAN), ont vu la majorité de leurs membres rejoindre les ministères et commissions du gouvernement. Ainsi, la plupart des groupes et réseaux manquent de dirigeants et de capacités. Le reste est dispersé dans le pays et travaille dans des conditions très difficiles vu qu'il n'y a guère d'infrastructures. Plusieurs organisations ont été rapidement formées pour répondre aux besoins du processus électoral et du référendum, mais les priorités peuvent changer en fonction de l'emprise des bailleurs de fonds. Localement, ce sont les organisations communautaires à la base qui fonctionnent le mieux et qui répondent véritablement aux besoins des populations. L'église et le SPLM demeurent les principaux points d'entrée pour l'aide internationale.
Pendant la guerre, les OSC étaient actives dans la promotion d'une solution pacifique et d'une réponse à la crise humanitaire causée par la guerre civile. Aujourd'hui, il y a peu d'acteurs de développement sur le terrain qui travaillent sur les conflits. De plus, les processus électoraux et les mécanismes de résolution des conflits existants sont mal utilisés car souvent reliés au politique, au religieux ou aux questions ethniques. Par contre, les ONG sont nombreuses à travailler sur l'amélioration des conditions d'existence des populations. Il y a plusieurs organisations qui travaillent à la fois au nord et au sud, sur la sensibilisation, les questions relatives aux négociations sur les sorties de crise (indépendance, Darfour...) ; Ce sont des acteurs majeurs au niveau international et ils ont une influence sur le nord et sur le gouvernement du Sud, les gouvernements donateurs, du Conseil de sécurité, l'Union africaine, l'UE, les USA etc.

Au Tchad, la société civile s'est développée depuis 1990 ; Elle intervient dans le contrôle de l'Etat, de la défense des Droits de l'Homme et on compte de très nombreuses organisations de base sur le terrain. En raison du contexte de conflit au Tchad, les relations entre le gouvernement et la société civile émergente ont été, dès le début, marquées par la suspicion et la méfiance mutuelles. Les pouvoirs publics n'ont jamais vraiment reconnu la présence de la société civile qu'ils percevaient comme un allié de l'opposition politique, prêt à dénoncer la mauvaise gouvernance et les violations des droits humains. D'autre part, la société civile soupçonnait le gouvernement de vouloir entraver ses activités. La période de calme relatif (1990-2003) qui a suivi la mise en place d'un système politique multipartite et la Conférence nationale souveraine ont permis à la société civile du Tchad d'être très active sur le terrain et de devenir une composante importante de la société. Le gouvernement a cherché à diviser les principales composantes de la société civile en favorisant l'émergence d'une société civile alternative qui défend la position du gouvernement. La société civile est également coincée entre le pouvoir et les rebellions.
La force de la société civile tchadienne réside dans son intervention pour résoudre les problèmes au-delà des divisions entre le nord et le sud, les chrétiens et les musulmans, les éleveurs et les agriculteurs, etc. Les crises sociales et politiques auxquelles le pays est confronté affectent de manière égale la grande majorité des Tchadiens. Le diagnostic fait par la société civile tchadienne jouit d'une large adhésion de l'opinion nationale et une partie de l'opinion internationale.

En RCA, les principales organisations constituant la société civile de la République centrafricaine étaient essentiellement les associations des droits de l'homme (ADH), l'Église catholique et le syndicat des travailleurs. L'influence des ADH est le résultat de la légitimité qu'elles ont développée à travers leur participation à la lutte pour la démocratie. Concernant l'Église catholique, son influence s'explique par le rôle qu'elle a joué dans la formation des élites de l'État. Avec les ADH, les syndicats ont joué un rôle politique, introduit ou soutenu les revendications démocratiques, se sont insurgés fortement contre les tentatives du gouvernement de remettre en question la liberté syndicale, le pluralisme et la liberté d'association, se dressant ainsi comme de véritables contre-pouvoirs. Comme au Tchad, la société civile en RCA a connu une période de reflux après l'euphorie des années 1990. Cette situation est également due à la perte d'enthousiasme pour la participation à but non lucratif suite à la dégradation de la situation politique dans le pays. La société civile centrafricaine est à l'image du pays : délabrée et sans moyens financiers. Moins organisée que les sociétés civiles du Tchad et du Cameroun par exemple, elle subit également la concurrence des ONG internationales qui ont investi dans le pays après l'effondrement de l'État.

 

  • conflit et consolidation de la paix